mardi 5 août 2014

Jour de Chance - Part. 02

Tonnie s'éveilla avec une forte migraine. Cela faisait déjà plusieurs mois que pour lui dormir était synonyme de céphalées au réveil. Si seulement leur intensité n'allait pas en s'accroissant ! Il aurait pu s'habituer aux maux de têtes des premiers jours mais maintenant le mal prenait des proportions de gueule de bois cataclysmique. Et ce matin-là, c'était encore pire : tout son crâne était soumis à la torture. Il avait la sensation d'avoir la tête coincée dans un étau dont la vis se resserrerait d'un cran à chaque nouvelle journée qui passe. 

Incapable de réfléchir davantage, il se leva et navigua dans le brouillard qu'était sa vision à travers la chambre. Une fois dans la salle de bain il attrapa mécaniquement le flacon de calmants et en avala trois, buvant directement au robinet. L'eau était fraîche et anesthésiante ; il passa la tête sous le jet. 


En levant les yeux il put se voir dans la glace, dégoulinant d'eau, fatigué, les yeux cernés, usé par toutes ces souffrances quotidiennes. Déjà les médicaments ne faisaient presque plus d'effet. Sur son front courait une cicatrice bien nette, unique vestige de l'accident qui avait failli lui coûter la vie. Elle faisait tout le tour de sa tête comme un bandeau de chair corrompue. Il pouvait la suivre du doigt, même à travers le cuir chevelu. Parfois, lors de nuits agitées, il lui semblait revivre en cauchemar l'opération. Il se revoyait, sanglé sur la table d'opération, tellement ligoté qu'il pouvait à peine respirer, observant le personnel médical s'agiter autour de lui et murmurant des choses incompréhensibles. Puis soudain tout le monde se figeait alors qu'un Indien apparaissait dans son champ visuel, coiffé de plumes, le visage recouvert de peintures rituelles ; le manitou, le grand sorcier, le médecin-chef lui annonçait alors que tout se passerait à merveille. L'assemblée se mettait ensuite à chanter, à scander un air oublié, une quelconque mélopée barbare, étrange et envoûtante. La pièce commençait à tourner, vite, très vite, de plus en plus vite, le plongeant au cœur d'un tourbillon, un maelström insensé, une spirale folle où seul l'homme-totem demeurait immobile, levant son tomahawk, inexorable, menaçant, lui attrapant les cheveux avant de laisser tomber sa hache de pierre comme un couperet. Il criait, se réveillait en sueur, poisseux et tremblant...

Tonnie reprit son souffle, essuya les gouttes de sueur froide qui perlaient sur son front et reporta son attention sur le miroir. Quelque chose dans son reflet le perturbait. Il se scruta, s'inspecta sous tous les angles sans qu'il puisse déceler une quelconque anomalie. Pourtant il savait que l'homme qu'il observait ce jour-là dans la glace n'était pas vraiment lui. Expliquer pourquoi cet avatar de glace aux entrailles d'argent lui semblait être un parfait étranger était inutile. De même que un et un font deux, lui et son image étaient indubitablement différents, liés mais dissociables. 

Sa femme pénétra dans la salle d'eau. Il sentit contre son dos le contact de ses seins nus et la lente reptation d'une main sur son ventre pendant qu'une autre enserrait son sexe. Les lèvres de sa compagne effleurèrent son cou, embrassèrent sa nuque et ses épaules ; il frissonna de plaisir. Le désir l'assaillait par salves soutenues, comme si sa verge en érection, telle une antenne de chair vibrante, captait toutes les pulsions sexuelles de la planète, les amplifiait avant de les irradier dans tout son être. Il se retourna et l'embrassa avec fougue. Enlacés, ils firent l'amour sur le carrelage dont la fraîcheur n'arrivait pas à apaiser le feu interne qui ravageait leurs entrailles. La jouissance les accueillit tout deux dans un râle de volupté, les yeux brouillés, avant de les laisser pantelants, épuisés, vautrés sur le sol de la salle de bain.

samedi 2 août 2014

La Fille Maudite du Capitaine Pirate

Ha ! Qu’est-ce qu’on est serré, au fond de cette boite,
Chantent les sardines, chantent les sardines
Pour cette nouvelle escapade du côté de la bande dessinée j'ai décidé de vous présenter un ouvrage assez particulier car difficilement classable. En l’occurrence il s'agit du premier volume de La fille maudite du capitaine pirate, dessinée et écrite par Jérémy Bastian.

Le récit débute en 1728 à Port Elisabeth, Jamaïque. La Fille Maudite du Capitaine Pirate décide de partir à la recherche de son père disparu, l’un des redoutés flibustiers des mythiques mers d’Omerta. Accompagnée du perroquet Poivre d'As, la jeune fille se lance rapidement sur les traces de ce géniteur inconnu, que ce soit sur ou sous les mers, allant de rencontres en dangers sans jamais trahir son hérédité. Bref un récit de pirate foutraque, fantasmé et  fantasmagorique, car si Lewis Carroll ou  L. Frank Baum (Le magicien d'Oz) avaient voulus écrire une histoire de pirates, le résultat n'aurait probablement pas dépareillé avec La fille maudite du capitaine Pirate.

Dès les premières cases, le dessin hors-norme interpelle et déconcerte. Avec un trait entièrement à la plume, Jérémy Bastian semble prendre un malin plaisir à jouer avec les éléments constitutifs de ses cases qui finissent par transcender leur simple rôle premier en devenant partie prenante de la narration ; cases, textes et onomatopées explosent, se mêlent, accompagnant tout autant qu'ils contiennent l'histoire qu'ils soulignent. Même les bulles se font malléables, donnant à cette oeuvre un petit côté expérimental.

"Je vois trop rarement passer des œuvres originales - mais aussi originales que celle-ci ? Presque jamais ! Jeremy Bastian est un génie" 
Mike Mignola, créateur de Hellboy
Cela dit, si le dessin semble dériver sans but de case en case, cela n'est qu'apparent. En effet, si les artifices et effets se succèdent semble-t-il sans logique, force est d'admettre qu'ils empruntent pour la plupart aux grands classiques de la gravure ou de la peinture, notamment flamande. L'emploi de proportions grotesques pour certains personnages (un peu à la manière d'Eiichirō Oda dans One Piece) renforcent le côté conte de l'histoire alors que la mise en scène, rappelant souvent les toiles de Jérôme Bosch, confèrent également à l'oeuvre un côté pointu et référencé. En lisant La fille maudite du capitaine pirate, on a parfois autant l'impression de flâner de toiles en toiles dans une galerie de musée que de parcourir les planches d'une bande-dessinée.
Pour terminer j'ajouterais que vous pourrez lire une interview de Bastian ICI. De plus, et parce qu'ils ont suivis ensembles les mêmes cours à l'école d'Art de Pittsburg, ce dernier travaille également avec David Petersen à qui l'on doit les Légendes de la garde dont je parlerais dans un prochain billet.

Avec ce premier tome, Jeremy Bastian nous livre un ouvrage dépaysant, inclassable, parfois génial, toujours surprenant. Si on aime les histoires de pirates, les contes et la bande dessinée, alors ce bel objet doit faire partie de votre bibliothèque ! Vivement le tome 2 !


La fille maudite du capitaine pirate

Tome 1

Dessin et scénario : Jeremy Bastian 
Couverture Cartonnée, impression à chaud
Format 20,5x30
Pages 128
Parution 04/2014
ISBN 9782918596059