jeudi 17 juillet 2014

Penny Dreadful


Le terme "penny dreadfull", littéralement "histoires à deux francs six sous", trouve son origine au 19ième siècle. A cette époque les romans gothiques étaient le style littéraire le plus en vogue en Angleterre mais les livres coûtaient si cher qu'aucun travailleur des classes moyennes n'avait les moyens de se les offrir. Du coup, seule une petite part des classes laborieuses avait accès à la lecture et seule la convergence de plusieurs facteurs permirent de changer cet état de fait : préalablement le gouvernement anglais entreprit une vaste campagne éducative visant à apprendre à lire et écrire à la plupart des enfants alors qu'en parallèle un nouveau modèle d'imprimerie à vapeur fut mit au point, permettant des volumes de publication à des niveaux jusqu'ici inégalés. Enfin, la suppression de la taxe de timbre sur les journaux et l'apparition d'un nouveau papier bien meilleur marché achevèrent de rendre possible l'essor d'une presse populaire.

Rapidement de nombreux périodique virent le jour, dont penny bloods and penny dreadfuls qui eurent un succès retentissant. Les histoires contenues dans leur pages permirent aux travailleurs d'oublier leurs journées de labeur harassante et de s'évader, guidés par la plume de Shelley, Stocker et autre romanciers dont les œuvres sont devenus des classiques du genre. Par la suite, et par déformation, l'expression "penny dreadfull" se mit à désigner les romans populaires de moindre qualité et publiées au rabais : bon marché mais mauvaises. 

Mais Penny dreadfull est également le titre d'une série créé cette année par John Logan et produite par Sam Mendes, duo à qui nous devons déjà Skyfall. Rien que l'évocation de cette association permit au projet de se concrétiser pour une première saison de 8 épisodes sans même passer par la case pilote. Se dotant d'un casting de premier choix (Eva Green, Josh Hartnett, Timothy Dalton, Billie Piper) et de décors somptueux.

La fine équipe au complet.
Durant cette première saison nous suivons les aventures de Sir Malcolm Murray, aristocrate explorateur, qui tente de délivrer sa fille Mina d'un mal étrange et qui est semble-t-il retenue contre son grès. Dans sa tâche il est assisté par Miss Vanessa Ives, amie d'enfance de sa fille et dotée d'étranges dons,  par le chirurgien Victor Frankenstein (Harry Treadaway), par l'américain Ethan Chandler, tireur d'élite et pour finir par son fidèle serviteur ramené d'Afrique, Sembene. Au fil des épisodes les parts d'ombres de chaque protagoniste se dévoilent tout en préservant l'aura de mystère qui les entoure. Le casting s'en tire d'ailleurs à merveille : Timothy Dalton est impeccable de bout en bout, Josh Hartnett est crédible en écorché mystérieux, Eva Green est habitée comme jamais. D'ailleurs la prestation de cette dernière participe pour beaucoup à l'atmosphère anxiogène de certains épisodes.

Vu comme cela on pourrait se dire que c'est une adaptation en série de La Ligue des gentlemen extraordinaires mais ce serait négliger les talents de scénariste de John Logan. S'il aborde certains romans gothiques de manière relativement frontale (Dorian Gray, par exemple), d'autres sont ouvertement détournés. Ainsi on croise un certain Van Hellsing, hématologue de son état, se confiant au docteur Frankenstein à propos des vampires et de ce que dissimule la nuit, tout en lui mettant dans la main un penny dreadfull ; la boucle est bouclée. Si les références demeurent toujours suffisamment explicites pour être directement identifiables, elles conservent toujours une différence subtile qui nous évitent une impression de déjà vu et confèrent à la série une part d'originalité propre.

La réalisation n'est pas en reste, notamment au niveau de la gestion du rythme. Car si les quelques scènes d'actions sont efficaces, le reste du temps les choses se font avec un flegme tout british. C'est la justesse et la maîtrise de cette alternance entre action et narration qui nous évite les affres de l'ennui et permet de nous plonger pleinement dans cette Angleterre victorienne mêlé de fantastique où lumières tamisées, brouillard et décors donnent corps à une Londres qui devient presque un personnage à part entière de l'intrigue. Je conclurais ce billet en disant que j'ai trouvé l'épisode final de saison (le 8ième, donc) particulièrement habile. Tout à la fois conclusion et transition, il confère à cette première saison autonomie et légitimité, comme si elle se suffisait à elle-même.


Intense, dense et sombre, Penny Dreadfull parvient à référencer un grand nombre d’œuvres, tant dans la littérature fantastique et gothique que dans le cinéma, sans jamais pour autant tomber dans le plaggiat. Bien qu'encore inédite dans nos contrées, je ne doute pas que cette série ne tardera guère à être diffusée sur nos écrans tant elle se classe assurément parmi les grands crus télévisuels de cette année 2014. Et ne boudons pas notre plaisir, une saison 2 de 10 épisodes est d'ores et déjà acquise. 

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