samedi 26 juillet 2014

Le conte de la princesse Kaguya


Cette fois j'ai décidé de vous parler de la dernière perle des studios Ghibli, à savoir "Le conte de la princesse Kaguya". Une fois n'est pas coutume, c'est Isao Takahata qui est aux commandes. Moins connu qu'Hayao Miyasaki, il n'en reste pas moins avec lui le co-fondateur des studios ainsi que le réalisateur d'un certain nombre de chefs d’œuvres de l'animation tels que le bouleversant "Tombeau des lucioles" ou encore le facétieux " Pompoko ".

Pour ce long métrage Takahata a cette fois jeté son dévolu sur un conte très populaire au Japon, Kaguya-Hime dont on attribue la paternité - ou plutôt maternité dans le cas présent - à dame Murasaki Shikibu, courtisane du milieu de l'époque de Heian (Xe-XIe siècle) Cette légende possède différentes appellations, les deux principales étant Kaguya-hime no monogatari (かぐや姫の物語, « Le conte de la princesse Kaguya ») et Taketori monogatari (竹取物語, « Le Conte du coupeur de bambou ».) Il s'agit en fait d'un condensé de sept contes distincts et assemblés pour en faire une histoire autonome. Du fait de leurs nombreuses similitudes et même si des passages lui restent propre, certains chercheurs pensent que le récit serait lui-même une transposition d'un conte tibétain.

Cette légende narre l'histoire d'un coupeur de bambous découvrant un bébé dans la coupe d'une canne de bambou luisante. L'homme décide alors de ramener le nourrisson dans son foyer où sa femme et lui décident finalement d'élever ce cadeau du ciel, s’émerveillant de la rapidité à laquelle grandit leur fille inattendue. Alors que la bambouseraie semble vouloir pourvoir au confort de l'enfant en fournissant au coupeur or et soieries, ce dernier y voit un signe du ciel et la nécessité de faire d'elle une princesse. Ils fait donc construire une somptueuse résidence en ville et y installent la désormais devenue jeune fille. Là elle y apprendra les choses nécessaire à son rang avant d'attirer la convoitise des puissants. Je vous laisse découvrir le reste par vous même.


Comme pour rendre hommage à Kose Ōmi qui fut célèbre par son emaki (絵巻, littéralement « rouleau peint ») de cette ancienne légende, les traits du dessin rappellent le fusain, les couleurs l'aquarelle. Ce choix, bien loin d'entraver l'animation en tous points irréprochable, confère au film un ton en totale adéquation avec le récit sur lequel il s'appuie : la style et la colorisation rappellent sans équivoque les estampes japonaises et le dessin à la fin simple et aéré nous inscrivent dans un récit fictif et poétique.

L'ambiance sonore n'est pas en reste. La bande originale fut d'abord confiée à Shinichiro Ikebe, qui a notamment travaillé avec Akira Kurosawa, avant finalement d'échoir à Joe Hisaishi, compositeur habitué des studios Ghiblis mais qui collabore ici pour la première fois avec Takahata. Encore une fois Hisaishi signe une BO magnifique servant à merveille le récit et et soulignant fort à propos le thème du film chanté par Kazumi Nikaidô.

En tant que réalisateur et scénariste, Takahata n'a plus grand chose à prouver et il le prouve encore une fois ici. Avec une réelle économie de moyens, il nous livre ici un film d'une extrême sensibilité, alternant drame et onirisme sans jamais nous perdre. Les émotions y sont toujours justes et les sentiments de chaque protagoniste sont directement perçus, sans artifice ni subterfuge aucun. Dès la première image l'animé nous happe et nous entraîne vers une fin que l'on devine sans attendre. Par bien des côtés, en visionnant "Le conte de la princesse Kaguya", on ressent de manière moins intense ce même sentiment ambiguë d'impuissance qui nous serrait les tripes dans "Le tombeau des lucioles" : l'espoir qu'à chaque instant que les choses s'améliorent alors que l'on sait pourtant inéluctable la conclusion.

Sensible, touchant, émouvant et beau, "Le conte de la princesse Kaguya" est un petit bijou de l'animation japonaise qui plaira aux plus jeunes mais aussi aux adultes tant certains éléments constitutifs de ce conte trouvent encore écho de nos jours. Assurément un film à voir, seul ou en famille, si on apprécie le cinéma d'animation.

Affiche japonaise

Le conte de la princesse Kaguya

Réalisé par Isao Takahata
Avec les voix de Aki Asakura, Kengo Kora, Takeo Chii plus
Genre Animation , Drame , Fantastique
Nationalité Japonais
Durée 2h17min

mercredi 23 juillet 2014

Jour de chance - Part.01

La pluie tombait sur la ville endormie. C'était une de ces pluies visqueuses dont les gouttes chutent du ciel comme des balles molles, boules de suif propulsées par la gravité. L'eau bavait sur les murs, ruisselait dans les caniveaux, recouvrant la ville d'une pellicule humide et grasse. De temps en temps un néon détraqué irradiait sa lumière fluorescente et maladive sur les murs détrempés de la ruelle avant de s'éteindre en grésillant.

Rock essayait de dormir, enveloppé dans un carton humide au milieu des ordures, poubelle parmi les poubelles. Il avait la tête embrumée et les paupières lourdes. Cela faisait une semaine qu'il n'avait rien avalé et il était à bout de forces. Il ne souhaitait plus qu'une seule chose, s'endormir et mourir sur ces restes de la vie d'une bonne vingtaine de personnes, ne faire plus qu'un avec la crasse et les déchets que l'homme laisse invariablement derrière lui, comme pour marquer son territoire. Car c'était ce qu'il était, une déjection de l'humanité, un marginal dont personne ne voulait, une anomalie. Quoi de plus logique que de mourir sur une poubelle, le seul lieu où il se soit vraiment senti chez lui, à sa place ? 

Mais malgré tous ses efforts il demeurait incapable de trouver ce repos tant attendu et de se laisser sombrer dans cet abîme cotonneux et réconfortant qu'était le sommeil. Bien qu'il en ignorât les raisons, il était extrêmement tendu. Au fond de son esprit torturé et agonisant une chose, comme une voix inaudible, l’obligeait à rester éveillé, à survivre à tout prix. Une vague de fatalisme balaya tout ce qui lui restait d'optimisme et d'espoir. Ainsi même la mort le rejetait ? Pourquoi donc était-il venu au monde parmi ces contrefaçons de l'évolution, ces hommes redevenus bêtes sauvages, ces régressifs ? Etait-il né uniquement pour être rejeté ?

Une voiture s'engagea dans la ruelle et son bruit le tira de sa torpeur fièvreuse. Il tenta d'ouvrir les yeux mais il dut les refermer aussitôt, aveuglé par les puissants phares halogènes du véhicule. Ses yeux le piquaient et des larmes coulaient le long de ses joues. Il grogna de douleur. Le véhicule s'arrêta dans un crissement de pneus à quelques mètres du tas de détritus dans lequel il se terrait puis il entendit des portières s'ouvrir et des bruits de pas allant dans sa direction.

Les hommes étaient maintenant tout proches. Ils étaient trois, empestant la cigarette et l'alcool. Ils était probablement armés car leurs vêtements sentaient aussi la poudre. Rock se mit à prier pour qu'ils soient saouls, sillonnant les ruelles en quête d'un clochard qu'ils pourraient à loisir étriper et souhaita que leur choix se porte sur lui. Il les laissa donc approcher, serein, feignant un sommeil qu'il était incapable de trouver. Il percevait chacun de leurs mouvements, entendait leur respiration, sentait leur proximité. L'un d'entre eux se pencha sur lui et il sentit dans son cou la morsure d'un pistolet à injection hypodermique.

Rock voulut réagir mais déjà la substance qui circulait dans ses veines agissait, anesthésiant son corps, inhibant ses muscles, se propageant de cellule à cellule comme une gangrène rongeant peu à peu ses sens. Cloué au sol par quelque force invisible, il avait la sensation d'être une marionnette sans ficelle, condamnée à une immobilité de chiffon. 

Un des hommes pianota un numéro sur un téléphone cellulaire :

« Nous en avons trouvé un... Non, aucun problèmes. Il n'a même pas bougé... Il dormait, je crois... Bien, on vous l'apporte tout de suite.»

L'homme raccrocha. Il s'approcha et lui murmura à l'oreille que c'était son jour de chance, son haleine avait un parfum mentholé. Rock n'en entendit pas davantage car il venait de sombrer dans l'inconscience.

jeudi 17 juillet 2014

Penny Dreadful


Le terme "penny dreadfull", littéralement "histoires à deux francs six sous", trouve son origine au 19ième siècle. A cette époque les romans gothiques étaient le style littéraire le plus en vogue en Angleterre mais les livres coûtaient si cher qu'aucun travailleur des classes moyennes n'avait les moyens de se les offrir. Du coup, seule une petite part des classes laborieuses avait accès à la lecture et seule la convergence de plusieurs facteurs permirent de changer cet état de fait : préalablement le gouvernement anglais entreprit une vaste campagne éducative visant à apprendre à lire et écrire à la plupart des enfants alors qu'en parallèle un nouveau modèle d'imprimerie à vapeur fut mit au point, permettant des volumes de publication à des niveaux jusqu'ici inégalés. Enfin, la suppression de la taxe de timbre sur les journaux et l'apparition d'un nouveau papier bien meilleur marché achevèrent de rendre possible l'essor d'une presse populaire.

Rapidement de nombreux périodique virent le jour, dont penny bloods and penny dreadfuls qui eurent un succès retentissant. Les histoires contenues dans leur pages permirent aux travailleurs d'oublier leurs journées de labeur harassante et de s'évader, guidés par la plume de Shelley, Stocker et autre romanciers dont les œuvres sont devenus des classiques du genre. Par la suite, et par déformation, l'expression "penny dreadfull" se mit à désigner les romans populaires de moindre qualité et publiées au rabais : bon marché mais mauvaises. 

Mais Penny dreadfull est également le titre d'une série créé cette année par John Logan et produite par Sam Mendes, duo à qui nous devons déjà Skyfall. Rien que l'évocation de cette association permit au projet de se concrétiser pour une première saison de 8 épisodes sans même passer par la case pilote. Se dotant d'un casting de premier choix (Eva Green, Josh Hartnett, Timothy Dalton, Billie Piper) et de décors somptueux.

La fine équipe au complet.
Durant cette première saison nous suivons les aventures de Sir Malcolm Murray, aristocrate explorateur, qui tente de délivrer sa fille Mina d'un mal étrange et qui est semble-t-il retenue contre son grès. Dans sa tâche il est assisté par Miss Vanessa Ives, amie d'enfance de sa fille et dotée d'étranges dons,  par le chirurgien Victor Frankenstein (Harry Treadaway), par l'américain Ethan Chandler, tireur d'élite et pour finir par son fidèle serviteur ramené d'Afrique, Sembene. Au fil des épisodes les parts d'ombres de chaque protagoniste se dévoilent tout en préservant l'aura de mystère qui les entoure. Le casting s'en tire d'ailleurs à merveille : Timothy Dalton est impeccable de bout en bout, Josh Hartnett est crédible en écorché mystérieux, Eva Green est habitée comme jamais. D'ailleurs la prestation de cette dernière participe pour beaucoup à l'atmosphère anxiogène de certains épisodes.

Vu comme cela on pourrait se dire que c'est une adaptation en série de La Ligue des gentlemen extraordinaires mais ce serait négliger les talents de scénariste de John Logan. S'il aborde certains romans gothiques de manière relativement frontale (Dorian Gray, par exemple), d'autres sont ouvertement détournés. Ainsi on croise un certain Van Hellsing, hématologue de son état, se confiant au docteur Frankenstein à propos des vampires et de ce que dissimule la nuit, tout en lui mettant dans la main un penny dreadfull ; la boucle est bouclée. Si les références demeurent toujours suffisamment explicites pour être directement identifiables, elles conservent toujours une différence subtile qui nous évitent une impression de déjà vu et confèrent à la série une part d'originalité propre.

La réalisation n'est pas en reste, notamment au niveau de la gestion du rythme. Car si les quelques scènes d'actions sont efficaces, le reste du temps les choses se font avec un flegme tout british. C'est la justesse et la maîtrise de cette alternance entre action et narration qui nous évite les affres de l'ennui et permet de nous plonger pleinement dans cette Angleterre victorienne mêlé de fantastique où lumières tamisées, brouillard et décors donnent corps à une Londres qui devient presque un personnage à part entière de l'intrigue. Je conclurais ce billet en disant que j'ai trouvé l'épisode final de saison (le 8ième, donc) particulièrement habile. Tout à la fois conclusion et transition, il confère à cette première saison autonomie et légitimité, comme si elle se suffisait à elle-même.


Intense, dense et sombre, Penny Dreadfull parvient à référencer un grand nombre d’œuvres, tant dans la littérature fantastique et gothique que dans le cinéma, sans jamais pour autant tomber dans le plaggiat. Bien qu'encore inédite dans nos contrées, je ne doute pas que cette série ne tardera guère à être diffusée sur nos écrans tant elle se classe assurément parmi les grands crus télévisuels de cette année 2014. Et ne boudons pas notre plaisir, une saison 2 de 10 épisodes est d'ores et déjà acquise.