samedi 7 décembre 2013

Le Transperceneige

Comme le titre l'indique je parlerais ici du Transperceneige. Si cela vous évoque quelque-chose c'est vraisemblablement parce-que vous avez vu ou entendu parler de sa récente adaptation cinématographique par Bong Joon-ho. Car oui, le film est bien une adaptation. Il s'agit en effet à l'origine d'une bande dessinée de science-fiction française publiée entre 1982 et 1983 dans le magazine (A Suivre). Comme un seul billet ne me suffira pas pour traiter intégralement le sujet j'en rédigerais donc deux : le premier sera consacré au 9ième art alors que le second s'attardera au 7ième, et donc au film.

Le transperceneige : première case.

Dans cette BD, Jacques Lob (au scénario) et Jean-Marc Rochette (au dessin) nous entraînent dans un monde post-apocalyptique dans lequel la terre s'est retrouvée figée dans un hiver perpétuel. L'origine réelle de cette catastrophe n'étant pas l'objet de l'oeuvre, elle reste vague et obscure et ce même pour les protagonistes. Ces derniers évoquent cependant sans trop y croire un usage incontrôlée de mystérieuses armes climatiques, comme si cela expliquait tout, justifiait la situation actuelle. Quoiqu'il en soit, ce qu'il reste de l'humanité a trouvé refuge in-extremis à l'intérieur d'un train croisière : le Transperceneige.

Propulsé par un système Forester, application du mouvement perpétuel, l’infatigable locomotive tracte ses wagons au travers des étendues immaculées, gelées et hostiles, tout en apportant protection, chaleur et subsistance à ceux qui vivent dans ses entrailles. Doté des dernières avancées technologiques lors de son inauguration, le train pouvait subvenir en parfaite autarcie aux besoins des voyageurs qu'il transportait. Mais des survivants ne sont pas des touristes...

"... En vérité, mes frères, nous savons bien que sans elle, nous n'existerions plus... Elle qui nous procure les biens les plus précieux, et surtout l'indispensable chaleur... Qu'elle vienne à s'arrêter, que le mécanisme sacré qui perpétuellement l'anime s'en vienne à défaillir... Alors, le froid mortel qui règne au dehors s'insinuera dans nos wagons, dans nos compartiments... Et la mort blanche nous figera pour l'éternité sous son linceul de glace...
Ô Sainte Loco, que ton mouvement dispensateur d'énergie ne se ralentisse point, qu'il apporte aujourd'hui et demain les bienfais qui nous sont nécessaires
Sainte Loco, source de vie, roulez pour nous."

Prêche au sein du transperceneige, p.53 

Tout confortable que le Transperceneige puisse être, l'humanité dut s'adapter à ce brusque changement et conforma ses anciennes habitudes à cet univers confiné et longiligne. Spontanément les passagers des wagons de tête, ceux de première classe, devinrent les nantis, obtenant par la même occasion le maximum de confort et d'influence. Suivirent ensuite les secondes classe et enfin les wagons de queue, normalement réservés au fret et désormais occupés par les resquilleurs embarqués en urgence lors du cataclysme. Ces queutards, démunis en tout, vivent dans une promiscuité extrême et les pires conditions qui soient. Car les places sont limitées et personne ne tient à reculer dans les wagons ; la réussite sociale se jauge désormais par sa position au sein du train. Désormais tous regardent donc vers l'avant, aspirant à arpenter les wagons dorés pour accéder à davantage de confort et à une existence plus douce. Devant, là ou se dirige la Sainte Loco, dispensatrice de ses bienfaits et salut de l'humanité meurtrie.


C'est le Transperceneige au mille et un wagons.

Cette intégrale regroupe en fait trois tomes narrant deux histoires distinctes. Le dessin de Rochette est cru et direct, sans artifices. Ce trait ainsi que l'emploi du noir et blanc permet au lecteur de se focaliser sur l'histoire sans se laisser distraire, renforçant ainsi l'impact du récit. Ce style réaliste est d'ailleurs assez étonnant lorsque l'on connaît un peu ce que ce dessinateur, davantage versé sur les personnages animaliers (cf. Edmond le cochon par ex.), a l'habitude de produire. Et c'est sans parler, comme l'évoque Jean-Pierre Dionnet dans sa préface de l'intégrale, de l’extrême difficulté de restituer les perspectives si particulières des trains, tout à la fois restreintes et fuyantes ; défi que remporte haut la main le dessinateur.

L'histoire offerte par Jacques Lob et continuée par Benjamin Legrand est très sombre et pessimiste, ce qui déjà est plutôt étonnant pour un scénario du début des années 80. Par le biais de cette arche ferroviaire, les scénaristes posent un regard acerbe sur l'humanité et les pulsions qui la motive ; lorsque l'on n'a plus rien, seul reste ce qui compte : sécurité, subsistance et confort. Dans cet environnement exiguë toutes les constantes sociales sont étirées jusqu'à l’extrême, laissant ce qui reste des hommes en permanence sur la brèche, prêts à exploser. C'est donc logiquement en regardant au travers de ce nouveau prisme social et une vision déformée par le changement de repères que les dirigeants du Transperceneige prennent leurs décisions dont découvrons les conséquences au fil de la lecture. A situation extrême, réponses extrêmes. Cela confère au récit, avec notre propre vision actuelle, un poids d'autant plus important qu'il fait écho à des questions très actuelles telles que l'égalité des chances, le traitement des inégalités sociales, le partage des ressources et la préservation de l'environnement. 

Bien que sa parution fut semée d’embûches, j'y reviendrais dans le second billet dédié, "Le Transperceneige" se révèle donc une bande-dessinée aussi originale que surprenante dont je ne regrette absolument pas la possession. Elle trouve pleinement sa place dans ma BDthèque et mérite d'y demeurer. Dans un prochain billet je m'attarderais sur l'adaptation cinématographique et la genèse de l'oeuvre. A Suivre...


Le Transperceneige - L’Intégrale

Editeur : Casterman
Date de parution : 21/08/2013
Collection : Univers d'auteurs
Serie : Transperceneige
Pages : 256
ISBN : 978-2-203-02759-6

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